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Tout comprendre à la stratégie textile européenne

Marie Petitalot
Marie Petitalot
Market intelligence analyst
Publié le
December 20, 2023
La stratégie européenne pour des textiles durables

D’après la Commission Européenne, la consommation de produits textiles est la 4ème source d’impacts des Européens sur l’environnement et le changement climatique - derrière l’alimentation, le logement et le transport. Alors que le secteur du textile et de l’habillement emploie plus d’1,5 million d’Européens, il est un atout clé pour l’emploi et l’économie locale (Sustainable and Circular Textiles Factsheet - 2022).

Pour répondre à l’urgence climatique et aux exigences des citoyens européens - qui souhaitent avoir accès à des vêtements de qualité et respectueux des droits humains et de l’environnement - la Commission Européenne va réglementer l’industrie de la mode d’ici 2030. Cela passe par la stratégie européenne pour des textiles durables et circulaires, aussi appelée stratégie textile européenne, ou sustainable textiles strategy.

→ Quels sont les objectifs de la stratégie textile européenne ?
→ CSDD, CSRD, ESPR : Comment se repérer parmi les textes et les acronymes qui la composent ?

Notre décryptage de la stratégie textile européenne vous aide à voir plus clair à propos des réglementations à venir au niveau européen et qui auront un impact sur l’activité des marques de mode.

Objectifs et calendrier de la stratégie textile européenne

La stratégie de l’Union Européenne pour des textiles durables et circulaires (sustainable textiles strategy) a été adoptée le 30 mars 2022 par la Commission Européenne, en réponse à deux enjeux majeurs :

  1. les attentes des citoyens européens sur les droits humains, notamment après la prise de conscience causée par l’effondrement du Rana Plaza
  2. l’urgence d’établir des règles pour limiter le dérèglement climatique, dans la foulée du  Pacte Vert pour l’Europe et du Plan d’Action pour une Economie Circulaire

Voici ses objectifs à l’horizon 2030 :

  1. Des vêtements durables dans le temps, à des prix abordables
  2. Des consommateurs responsables et bien informés
  3. La responsabilité des producteurs étendue à toute la chaîne de valeur de leurs produits (jusqu’à la fin de vie)
  4. Le respect des droits sociaux et de l’environnement
  5. L’absence de substances dangereuses
  6. Des matières recyclables et l’utilisation de fibres recyclées en boucle fermée
  7. La généralisation du réemploi et de la réparation des textiles

L’approche se veut holistique, couvrant tous les aspects du produit et parties prenantes associées : la manière dont ils sont conçus, les conditions de production, l’information des consommateurs, la fin de vie, l’information des actionnaires.

Cette stratégie aura une forte incidence sur le secteur textile dans les années à venir, avec l’entrée en vigueur d’une dizaine de textes. Voici tous les textes et mesures en lien avec la stratégie textile européenne que vous devez connaître :

  1. La directive CSRD sur le reporting extra-financier et l’intégration du secteur textile à la taxonomie européenne
  2. La directive CSDD sur le devoir de vigilance
  3. Le règlement ESPR sur l’éco-conception et le passeport produit numérique
  4. La directive Green Claims sur l’encadrement de la communication environnementale
  5. Des révisions de la réglementation sur les déchets : REP textile à l’échelle européenne, directive cadre européenne sur les déchets, règlement sur le transfert des déchets…
  6. Une révision des critères d’approvisionnements publics responsables (Green Public Procurement - GPP)
  7. Un règlement contre les microplastiques
  8. Une révision du règlement REACH sur les substances toxiques et des mesures de restrictions concernant les substances allergènes, les bisphenols, les PFAS, les PFHxA.
  9. Une révision de la directive IED sur les émissions industrielles

Parmi ces propositions de directives et règlements, les directives CSRD, CSDD et le règlement ESPR ont déjà été adoptés. Les autres sont encore au stade de propositions de lois, dont nous vous tiendrons informés des avancées.

Dans les paragraphes qui suivent, nous vous présentons les principaux textes européens à connaître pour comprendre comment la réglementation européenne transformera l’industrie textile.

Un texte également très important pour la filière mode et luxe, qui concerne le cuir et n’est donc pas associé à la stratégie textile européenne, est le règlement européen anti-déforestation. Il s’appliquera dès 2024 aux metteurs en marché de produits à risque (bois, cuir, caoutchouc…). Veuillez consulter notre article sur le sujet pour en savoir plus.

CSRD, Taxonomie Européenne : exiger un reporting ESG pour plus de transparence envers les actionnaires sur les enjeux de durabilité

Pour favoriser la transition écologique et améliorer la transparence de l’industrie, la Commission Européenne souhaite faciliter le développement de la finance durable et imposer aux entreprises de plus en plus de reporting sur les éléments d’impact social et environnemental. Cela passe par deux dispositifs :

  1. La taxonomie européenne
  2. La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD)

La taxonomie européenne a pour objectif de définir les activités économiques dites durables vers lesquelles doivent se diriger les investissements responsables. Elle est entrée en vigueur en 2022 pour des secteurs comme la construction, l’énergie, les transports. Dans le cadre de sa stratégie textile, la Commission Européenne souhaite intégrer l’industrie textile à cette taxonomie, en définissant les critères précis pour qu’un acteur puisse être considéré comme circulaire et être valorisé auprès des investisseurs.

La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) vient remplacer dans le cadre du Pacte Vert la directive sur le reporting extra-financier (NFRD) avec des dispositions plus ambitieuses, et s’appliquera progressivement à partir du 1er janvier 2024. Elle concernera plus d’entreprises, qui devront communiquer plus en détails sur leur risques, opportunités et impacts ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) selon des normes harmonisées au niveau européen.

Pour que les marques de mode puissent répondre aux exigences réglementaires de transparence imposées par la CSRD, il y a un prérequis : une connaissance fine de leurs chaînes de production jusqu'à l'origine matière. Des processus de traçabilité seront indispensables pour collecter toute l’information requise pour des bilans RSE conformes à la réglementation.

Pour en savoir plus sur le reporting de durabilité et la CSRD, veuillez consulter notre article.

CSDD, Forced Labour Ban : assurer des conditions éthiques de production des vêtements

Deux textes européens prévoient d’établir un devoir de vigilance des entreprises au niveau européen vis-à-vis de l'amont de leur chaîne de production :

  1. La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDD)
  2. La proposition d’interdiction des produits issus du travail forcé (Forced Labour Ban)

Des lois existent déjà sur le sujet au niveau national, notamment en France et en Allemagne, mais ces textes européens renforceront et étendront leurs dispositions.

La proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDD : Sustainable Corporate Due Diligence Directive) souhaite établir des exigences minimum en termes de devoir de vigilance. Les marques devront connaître les risques et impacts de leur chaîne d’approvisionnements sur les droits de l’homme et l’environnement, et prendre des mesures pour les prévenir et les atténuer. Retrouvez tous les détails à connaître sur ce texte dans notre article dédié.

La proposition d’interdiction des produits issus du travail forcé (Forced Labour Ban) vise à identifier les risques de travail forcé (zones géographiques, industries…) en coopération avec la société civile pour identifier et bloquer les produits concernés aux frontières de l’Union.

Ces mesures ont un impact particulier sur l’industrie textile, dont les chaînes de production sont complexes et opaques. Elles imposent aux marques de mode de retracer leurs produits pour connaître tous leurs fournisseurs indirects et ainsi pouvoir identifier et gérer les risques sur leur chaîne de valeur.

Empowering Consumers, Green Claims : informer les consommateurs et les protéger du greenwashing

Comme le gouvernement français (voir article dédié), la Commission Européenne souhaite que les consommateurs soient mieux informés sur les impacts environnementaux des produits qu’ils consomment.

Elle prévoit des règles pour des informations claires et non trompeuses qui mettent en valeur les vêtements ayant vraiment le moins d’impact sur l’environnement et le changement climatique. Cela passe par deux textes complémentaires entre eux :

  1. La directive Empowering Consumers
  2. La proposition de directive Green Claims

Nous vous en proposons une présentation synthétique ci-dessous, et une présentation détaillée dans cet article.

La directive Empowering Consumers de mars 2022 vise à donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique. Elle a pour objectif d’encourager la consommation durable en inscrivant les pratiques de greenwashing (allégations environnementales vagues ou trompeuses) au registre des pratiques commerciales déloyales interdites. Elle oblige aussi les marques à communiquer sur la durabilité, la réparabilité et l’obsolescence programmée de leurs produits. Publiée au journal officiel en mars 2024, elle entrera en vigueur dans les Etats membres à partir de 2026.

La proposition de directive Green Claims, publiée fin mars 2023, vient compléter ce premier texte. Voici ses principales dispositions :

  1. Elle définit des critères communs selon lesquels des allégations environnementales ne sont pas considérées comme du greenwashing : ces règles imposent que toute allégation environnementale soit justifiée de manière transparente, vérifiée, et traduise une approche cycle de vie, sous peine d’une amende d’au moins 4% du CA.
  2. Elle restreint la prolifération des labels : les nouveaux labels sont interdits, sauf s’ils sont développés au niveau européen pour les labels publics, et s’ils sont plus exigeants que les labels existants pour les labels privés.
  3. Elle indique que la méthode PEF (Product Environmental Footprint) n’est pas suffisamment complète pour rendre compte des impacts environnementaux des produits textiles et ne pourra donc pas servir à elle seule de méthodologie de calcul de score environnemental pour les vêtements.

Ces mesures ont également un fort impact sur les marques de mode, qui peinent à inclure le scope 3 dans leurs stratégies RSE et de calcul d’impact. En effet, pour ne pas être condamnées pour greenwashing, elles devront collecter des preuves robustes tout au long du cycle de vie de leurs produits pour appuyer leur communication environnementale.

ESPR : faire des produits textiles éco-conçus la norme

Le règlement sur l’écoconception pour des produits durables, dit ESPR, vise à établir des exigences d’éco-conception par familles de produits. Il complète

la directive sur l’éco-conception de 2009 qui concernait seulement les produits liés à l’énergie.

Il a pour objectif de définir un cadre précis pour que les marques ne mettent sur le marché que des produits durables d’ici à 2030.

Les exigences de durabilité minimum proposées abordent divers enjeux : la durabilité physique, la circularité, l’efficacité énergétique, la consommation de ressources, l’empreinte carbone et environnementale, l’information du consommateur notamment via un passeport numérique des produits.

Nous vous invitons à lire notre article détaillé sur le sujet pour en savoir plus.

Révision de la Waste Framework directive et du réglement Waste Shipment : poser les conditions pour une mode circulaire

La Commission Européenne prévoit aussi des textes à propos de la fin de vie des produits, afin de favoriser une économie circulaire à l’échelle européenne. Cela passe par :

  1. Une proposition de révision de la directive cadre européenne sur les déchets (Waste Framework Directive), publiée le 5 juillet 2023 par la Commission européenne. Sont en jeu :
    → L’application aux produits textiles du principe de la Responsabilité Elargie du Producteur, comme c’est le cas actuellement en France. Cela pourrait inclure des pénalités spécifiques aux produits dits de "fast-fashion".
    → La hiérarchie des modes de traitement des déchets : prioriser la prévention, puis la réutilisation, puis le recyclage, puis d’autres types de valorisation, avant l’élimination.
    → La définition d’un “end-of-waste criteria” (critère de sortie du statut de déchet), c’est-à-dire un critère selon lequel un article ou une substance n’est plus considéré comme un déchet mais comme un produit ou une matière première qui peut être légalement vendue et utilisée.
  2. Un projet de révision du règlement sur le transfert des déchets (Waste Shipment Regulation) : alors que le transit des déchets d’un pays à l’autre est aujourd’hui très limité, l’Union Européenne prévoit d’assouplir les règles pour favoriser l’économie circulaire dans le marché unique européen.
Droit européen
Production et qualité
Transparence
RSE
Traçabilité
Devoir de vigilance
Conformité
Eco-conception
Economie circulaire