Depuis l’adoption par la Commission Européenne de la proposition de directive Green Claims en mars 2023, on assiste à une forte remise en question des marques de mode sur leur communication. Face au risque d’être accusées de greenwashing, beaucoup d’entre elles préfèrent ne plus communiquer sur les vertus environnementales de leurs produits : on parle même de “greenhushing”. Et pour cause, une étude de la Commission Européenne a révélé en 2020 que 53% des allégations environnementales sont vagues, trompeuses ou infondées.
En France, la communication environnementale est déjà encadrée par la loi Climat et Résilience, qui établit un cadre pour sanctionner le greenwashing.
Dans cet article, nous faisons la synthèse de tout ce que vous devez savoir sur l’encadrement légal des allégations environnementales, en France et bientôt au niveau européen. Nous vous présentons également les conseils du gouvernement pour éviter les pièges du greenwashing.
Loi Climat et Résilience : synthèse de l’encadrement de la communication environnementale par la loi française
Les nouvelles pratiques commerciales trompeuses liées au greenwashing en France
La loi Climat et Résilience, promulguée le 24 août 2021, est issue du travail de la Convention citoyenne pour le climat et a pour but d’accélérer la transition écologique, dans tous les domaines de la vie des Français.
Pour transformer nos modes de consommation, elle comprend notamment plusieurs mesures sur l’information du consommateur par les marques, dont vous pouvez retrouver une synthèse dans cet article.
Ces mesures visent non seulement à donner plus d’informations au consommateur, mais également à interdire de lui donner des informations qui peuvent l’induire en erreur sur la performance environnementale des produits.
C’est pourquoi l’article 10 de la loi Climat et Résilience a fait expressément inscrire le greenwashing parmi les pratiques commerciales trompeuses du code de la consommation.
Dans l’article L121-2 du code de la consommation qui définit les pratiques commerciales trompeuses, on trouve désormais les allégations fausses ou trompeuses portant sur :
- les propriétés d’un produit ou service “notamment son impact environnemental”
- la portée des engagements d’une marque “notamment en matière environnementale”.
A savoir, certaines mentions, comme “respectueux de l’environnement”, ou “neutre en carbone” jugées particulièrement vagues ou trompeuses sont interdites par la loi AGEC et la loi Climat et Résilience : retrouvez-les dans cet article.
Greenwashing : quelles sanctions prévues par la loi française ?
Les peines prévues en France pour les allégations environnementales trompeuses sont un emprisonnement de 2 ans et une amende allant, selon les bénéfices tirés, de 300 000 € à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, ou à 80 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit.
Les consignes officielles pour éviter le greenwashing : le guide des allégations environnementales du CNC
Fin mai 2023, le ministère de l’économie a publié un guide pratique des allégations environnementales, rédigé par un groupe de travail du CNC (Conseil National de la Consommation).
Ce guide est destiné à la fois aux consommateurs, pour leur permettre de mieux lire la communication environnementale des marques, et aux professionnels, pour leur servir d’outil de référence.
Il comporte des recommandations non contraignantes, mais qui font autorité : il est désigné comme document de référence pour la DGCCRF dans sa mission de sanction des pratiques commerciales trompeuses.
Le document comporte deux parties :
- Un rappel de l’encadrement juridique des allégations environnementales,
- Des recommandations spécifiques à l’utilisation de certaines allégations environnementales (ex : écoconçu, naturel, upcyclé).
En annexe, on trouve une fiche pratique pour que les marques puissent s’assurer qu’une allégation environnementale est loyale. Nous faisons la synthèse de son contenu ici pour vous.
Pour communiquer sur les caractéristiques environnementales d’un produit sans faire de greenwashing, il y a trois étapes à suivre, chacune accompagnée de questions clés à se poser :
Etape 1 : Un contenu pertinent, qui comporte un véritable avantage au vu des impacts significatifs du produit sur tout son cycle de vie et toute sa chaîne d’approvisionnement. On parle de principe de “proportionnalité de l’allégation” par rapport au total des impacts du produit.
→ Est-ce que je connais les principaux impacts environnementaux du produit ? Est-ce que l’allégation est pertinente par rapport à ces impacts ? Est-ce que l’avantage revendiqué ne conduit pas à un transfert de pollution sur une autre étape du cycle de vie ?
Etape 2 : Une présentation de l’allégation claire, précise et compréhensible, qui ne laisse pas place à l’ambigüité sur sa portée et ses limites.
→ L’allégation décrit-elle clairement et précisément l’avantage environnemental associé ? Les représentations graphiques (dont les symboles, images ou labels) sont-elles pertinentes par rapport à l’allégation utilisée ?
Etape 3 : L’existence et la disponibilité de justificatifs qui prouvent l’allégation (origine des résultats, détail de la méthodologie utilisée, preuves).
→ Les résultats ont-ils été obtenus par des méthodes standards appropriées et reconnues ? Les informations à l’appui d’une allégation sont-elles accessibles au public ou aisément rendues disponibles sur demande ?
Directive Empowering Consumers for the green transition : le greenwashing intégré aux pratiques commerciales déloyales de l’UE
Dans le cadre d’une série de mesures pour rendre le marché unique plus durable, l’Union Européenne s’attaque également au greenwashing. Cela prend la forme de deux propositions de directives :
- Empowering consumers for the green transition, en français “donner aux consommateurs les moyens d’agir pour la transition écologique”,
- Green Claims, en français “allégations écologiques”.
La directive pour donner aux consommateurs les moyens d’agir pour la transition écologique a été publiée au journal officiel en mars 2024. Elle vise, entre autres, à inscrire le greenwashing au registre des pratiques commerciales déloyales de l’UE.
Voici la liste des pratiques que le texte prévoit d’ajouter à la liste des pratiques déloyales :
- Une allégation sur de futures performances environnementales qui n’est pas accompagnée d’engagements clairs et vérifiables par contrôle indépendant
- Une allégation présentée au consommateur comme un avantage ou une caractéristique distinctive alors que c’est en réalité une pratique courante ou bien une exigence légale
- Dans un service qui compare des produits entre eux, notamment sur leur durabilité, l’omission de la méthode de comparaison utilisée et des mesures mises en place pour garder l’information à jour
- Un label environnemental qui n’est ni fondé sur un système de certification, ni mis en place par les autorités publiques
- Une allégation environnementale générique sans preuve
- Une allégation environnementale qui porte sur tout le produit, alors que l’avantage ne porte que sur une des caractéristiques du produit
- L’absence d’information sur des caractéristiques d’obsolescence programmée
- Une affirmation fausse de durabilité temporelle ou physique, ou de réparabilité
- Une incitation à remplacer les composants d’un bien sans raison technique qui l’impose
- L’absence d’information sur la limitation des performance d’un produit lorsque le consommateur utilise des pièces de rechange ou accessoires non fournis par le producteur d’origine
En pratique, les allégations génériques comme "respectueux de l'environnement", "naturel", "biodégradable", "eco" ou "neutre en carbone", ainsi que les allégations reposant sur des mécanismes de compensation carbone seront interdites.
L'adoption du texte début 2024 ouvre une période de deux ans pour que les Etats membres transposent la directive dans leurs droits nationaux. Les nouvelles obligations entreront donc en vigueur d'ici 2026.
Comment seront alors sanctionnées les entreprises qui pratiquent le greenwashing ?
Comme pour les autres pratiques commerciales déloyales le greenwashing sera passible d'une amende valant au moins 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée ou de 2 millions d’euros dans certains cas d’infractions transfrontalières majeures.
Proposition de directive Green Claims : les modalités de communication environnementales précisées
Présentation générale de la directive Green Claims
La proposition de directive sur les allégations écologiques a été publiée par la commission européenne en mars 2023, et complète le texte “empowering consumers”.
Elle vise à préciser les principes de communication environnementale à suivre, et à mettre un terme à la prolifération des labels environnementaux.
L’objectif ? Valoriser les vrais efforts des entreprises, et mettre à disposition des consommateurs une information fiable, comparable et vérifiable pour qu’ils puissent faire des choix de consommation éclairés.
Voilà ce que le texte de la directive Green Claims prévoit :
- L’interdiction des allégations environnementales qui ne remplissent pas un ensemble minimum de critères.
- L’interdiction des labels qui ne correspondent pas à des exigences minimum de transparence et de crédibilité.
Comme dans la directive pour donner aux consommateurs les moyens d’agir, la Commission Européenne rappelle que les allégations non conformes seront passibles d’amendes valant au moins 4% du chiffre d’affaires de l’entreprise dans les Etats membres concernés.
La directive Green Claims ne devrait pas être adoptée avant mi 2024 voire 2025. Très exigeante, elle nécessite cependant un travail d'anticipation important de la part des marques.
La liste des critères minimum prévus par la directive Green Claims pour justifier une allégation environnementale
L’article 3 de la proposition de directive Green Claims établit pour les allégations environnementales une approche multi-critères, basée sur l’ensemble du cycle de vie, afin d'éviter le greenwashing.
Pour pouvoir justifier une allégation environnementale, voici les 8 règles que les marques doivent suivre :
- Préciser si l’allégation porte sur l’ensemble du produit ou seulement sur une partie ou sur certains aspects.
- S’appuyer sur des preuves scientifiques reconnues, tenir compte des normes internationales pertinentes, utiliser des informations exactes.
- Démontrer que l’allégation porte sur un avantage significatif au regard de tous les impacts du produit et de l’ensemble de son cycle de vie.
- S’assurer que l’allégation ne correspond pas à une exigence imposée par la loi et prouver qu’elle correspond vraiment à un avantage significatif par rapport aux pratiques courantes observées sur le marché.
- Identifier les éventuels transferts d’impacts liés à l’avantage mis en avant (ex : l’empreinte carbone du produit est améliorée au détriment d’autres aspects comme la pollution ou la biodiversité).
- Ne pas inclure les compensations d’émissions de gaz à effet de serre dans l’allégation mais plutôt en tant qu’information complémentaire, et préciser la nature de ces compensations.
- Rendre accessibles les données primaires (données réelles de l’entreprise) sur lesquelles est fondée l’allégation.
- Inclure également les données secondaires pertinentes (données représentatives de la chaîne de valeur du produit ou de l’entreprise).
La proposition de loi prévoit à l’article 4 quelques dispositions supplémentaires concernant les allégations comparatives sur un produit versus d’autres produits, pour s’assurer que la comparaison a du sens (ex : considérer les mêmes étapes du cycle de vie, utiliser les mêmes méthodologies et des données équivalentes).
Les modalités de communication environnementale définies par la directive Green Claims : comment faudra-t-il communiquer pour être en conformité ?
L’article 5 de la directive Green Claims définit une liste d’exigences concernant la communication d’une allégation environnementale.
En plus d’utiliser uniquement des allégations environnementales justifiées par les critères listés dans le paragraphe précédent, les marques doivent respecter certaines règles et mettre à disposition certaines informations pour que l’allégation soit présentée de façon suffisamment claire pour le consommateur.
Lorsqu’elles font une allégation environnementale sur un produit dont une part significative des impacts est concentrée sur la phase d’utilisation du produit, les marques doivent indiquer comment le consommateur doit utiliser le produit pour atteindre la performance environnementale attendue.
Si l’allégation est liée à des performances futures de la marque, elle doit être accompagnée d’engagements fixés dans le temps portant sur ses opérations et sa chaîne de valeur.
L’information sur laquelle porte l’allégation environnementale doit être mise à disposition, de manière physique ou dématérialisée (QR Code, lien internet…). Voilà l'information minimum à communiquer :
- Les aspects ou impacts environnementaux couverts par l’allégation,
- Les normes européennes ou internationales pertinentes en lien avec l’allégation,
- Les études ou calculs sur lesquels est fondée l’allégation, en précisant leur portée et leurs limites,
- Une explication synthétique de comment la performance environnementale est atteinte,
- le certificat de conformité de la justification de l’allégation et le contact du tiers ayant effectué la vérification,
- Pour les allégations liées aux émissions de gaz à effet de serre, dans quelle mesure elles reposent sur des compensations, et la nature de ces compensations,
- un résumé de l’évaluation menée par la marque sur l’allégation, qui comprend les points indiqués au paragraphe précédent.
La directive Green Claims et les labels
Les articles 7 et 8 de la directive Green Claims portent sur les labels environnementaux, avec un double objectif :
- S’assurer qu’ils correspondent à une vraie valeur ajoutée environnementale,
- Mettre un terme à leur prolifération, qui est source de confusion pour le consommateur.
Pours'assurer que les labels (notamment privés) correspondent à une vraie valeur ajoutée environnementale, la proposition de directive Green Claims exige qu’ils soient conformes aux critères de justification et de communication présentés aux paragraphes précédents.
D’autres critères de transparence spécifiques aux labels sont ajoutés, notamment un libre accès aux informations sur la gouvernance de l’organisme de labellisation, ainsi que sur ses objectifs, ses exigences et son système de contrôle de la conformité. La proposition de directive demande également que les conditions de participation (ex : tarification) soient adaptées en fonction de la taille des entreprises, pour veiller à inclure les petites structures.
Pour mettre un terme à la prolifération des labels, à partir de l’entrée en vigueur de la directive, les pays membres ne pourront plus créer de nouveaux labels nationaux ou locaux. Tout nouveau label public devra être créé au niveau européen.
Les labels publics existants seront toujours valables, à l’exception des labels sous forme de scores agrégés qui devront tous être établis au niveau européen. Pour l’Eco-score en cours de conception en France pour les produits alimentaires et textiles, cela signifie qu’une harmonisation sera nécessaire lors de l’entrée en vigueur de cette directive. L’Union Européenne s’inspirera probablement de la méthodologie française pour créer son score, afin de faciliter cette harmonisation.
Les labels publics de pays non-membres de l’UE devront être approuvés par la Commission européenne avant de pouvoir être utilisés sur le marché de l’Union.
Les labels privés devront être approuvés par les Etats membres, et ne pourront l’être que s’ils apportent une valeur ajoutée sur le plan environnemental par rapport aux labels pré-existants.
Les vérifications des allégations environnementales imposées par la directive Green Claims : comment la conformité sera-t-elle contrôlée ?
L’article 10 de la proposition de directive Green Claims porte sur les procédures de vérification qui doivent être mises en place par les Etats membres afin de s’assurer de la conformité des allégations environnementales et des labels.
Avant d’être présentée au consommateur, une allégation environnementale devra être vérifiée par un organisme tiers indépendant et accrédité, qui délivre un certificat de conformité.
Pourquoi le score PEF n’est pas retenu comme méthode unique de justification des allégations environnementales
Un paragraphe de la proposition de directive Green Claims est dédié aux enseignements tirés du travail de la Commission Européenne sur la méthode PEF (méthode de mesure de performance environnementale d'un produit basée sur l'analyse de cycle de vie).
Il était question que le score PEF devienne la méthode standard pour étayer une allégation environnementale faite à propos d’un produit, mais cela ne sera finalement pas le cas.
En effet, si le score PEF peut être un outil interne utile aux entreprises pour améliorer leur performance environnementale, il présente au moins 2 limites, citées dans le texte :
- Il ne couvre pas toutes les catégories d’impact significatives des produits, et notamment dans le cas des produits textiles, le rejet de microplastiques,
- Il n’est pas pertinent pour justifier des allégations environnementales portant sur certaines caractéristiques du produit telles que la durabilité physique, la recyclabilité, la réparabilité…
Conclusion : connaître les caractéristiques produit et les impacts de sa chaîne de production est désormais indispensable pour justifier toute allégation environnementale
Le contenu exact des textes contre le greenwashing qui seront finalement adoptés par la Commission et le Parlement européens à l’issue du cheminement législatif n’est pas encore connu. Cependant, une certitude se dégage de ces propositions de directives : pour pouvoir communiquer, les marques doivent impérativement justifier leurs allégations avec des informations concernant tout le cycle de vie des produits concernés.
Il est pour cela indispensable qu’elles mettent en place des mécanismes leur permettant de faire remonter les données liées à la performance environnementale de toute leur chaîne de production. Des processus de traçabilité opérationnels sont donc le préalable de toute communication.