La phase de conception des produits, déterminante pour leur impact environnemental au cours de leur cycle de vie, fait désormais l'objet de l'attention des législateurs français et européens.
La loi française a défini des principes et des obligations d'éco-conception via l’article 72 de la loi AGEC publié en février 2020. Quant à l’Union Européenne, elle souhaite renforcer les exigences et mieux encadrer l'éco-conception avec la proposition de règlement sur l’éco-conception pour des produits durables ESPR (Eco-design for Sustainable Product Regulation) publiée le 30 Mars 2022.
Ces deux textes formulent une définition légale de l’éco-conception et ont des conséquences directes sur tous les producteurs et metteurs en marché en Europe, en particulier ceux appartenant à un secteur identifié comme prioritaire pour la protection de l’environnement, tel que le textile.
Plan de prévention et d'éco-conception, passeport produit digital : dans cet article, nous vous présentons toutes les nouvelles obligations relatives à l'éco-conception de vos produits qui découlent de l’article 72 de la loi AGEC et du règlement ESPR.
Eco-concevoir en France : l'article 72 de la loi AGEC et son plan de prévention et d'éco-conception
La France a été parmi les premiers pays à proposer des principes d’éco-conception pour tous les produits à travers la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire), promulguée en février 2020. L’article 72, et en particulier l’art. L. 541-10-12, impose ainsi aux producteurs de mettre en œuvre un plan d’écoconception, avec 3 objectifs :
- Réduire l'usage de ressources non renouvelables,
- accroître l'utilisation de matières recyclées,
- accroître la recyclabilité des produits.
A savoir, un « producteur » est défini par la loi comme « toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication ».
Le plan de prévention et d'éco-conception imposé par la loi AGEC doit être élaboré pour des périodes de cinq ans, et inclure les bilans et leçons des plans précédents. Il peut être individuel, mais aussi commun ou élaboré par les éco-organismes pour leur filière. Dans tous les cas, les éco-organismes reçoivent l’intégralité des plans de la filière et en rédigent une synthèse publique.
En ce qui concerne la filière TLC (textile, linge de maison, chaussures), les producteurs avaient jusqu’au 31 juillet 2023 pour remettre leur plan de prévention et d’éco-conception à Refashion. L’éco-organisme en publiera une synthèse fin 2023.
Des trames de plans de prévention et un guide de rédaction sont disponibles sur le site internet de Refashion, en suivant ce lien.
Les acteurs du textile, de la mode et du luxe en France sont aussi tenus d’appliquer d’autres obligations liées à la loi AGEC : retrouvez notamment sur notre blog l’explication de l’article 13 de la loi AGEC et sa fiche QCE, ou la présentation de la nouvelle signalétique Triman de la filière textile.
En complément, les marques seront aussi bientôt soumises au règlement européen ESPR sur l’éco-conception pour des produits durables.
Objectifs, calendrier d'application : présentation de la proposition de règlement européen sur l’éco-conception pour des produits durables (ESPR)
A l’échelle européenne, les principes d’éco-conception ont d’abord été introduits pour les produits liés à l’énergie dès 2009 au sein de la directive établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie.
Le règlement ESPR vise à remplacer cette directive et à étendre ses mesures en définissant un cadre général pour la promotion de l’éco-conception. Il s’applique à tous les produits du marché européen, à l’exception des aliments, des médicaments, des plantes, des animaux, et des produits humains.
Le règlement ESPR définit des domaines d’action et des principes de base, puis confère le pouvoir et la responsabilité à la Commission Européenne d’adopter des actes délégués pour préciser ces sujets en pratique. Certains secteurs identifiés comme prioritaires par la Commission du fait de leur impact particulièrement important sur l’environnement, comme le textile ou l’ameublement, feront l’objet des premiers textes.
A noter, les filières ont la possibilité de soumettre avant la publication d’un acte délégué des « mesures d’auto-régulation » validées par des acteurs représentant au moins 80% de part de marché, et qui rempliraient les objectifs présentés dans le règlement. Ces mesures remplaceraient alors l'acte délégué.
La concrétisation opérationnelle de ce règlement ne sera connue qu’à l’adoption des actes délégués par la Commission Européenne ou à la soumission de mesures d’auto-régulation.
Après la publication de chaque acte délégué, les industries auront 18 mois pour s'adapter aux nouvelles exigences en matière d'éco-conception. Cependant, la date de début de l'interdiction de la destruction des produits de mode invendus est déjà fixée : elle sera de 2 ans après la promulgation de l'ESPR.
Le réglement a été adopté en mai 2024, et la Commission dispose désormais d’une période de 6 ans pour publier les actes délégués. Ces derniers entreront en vigueur si le Parlement Européen ou le Conseil Européen n’expriment pas d’objection dans un délai de 3 mois après avoir été notifiés.
Le règlement ESPR fait partie d'une vague de réglementations RSE en cours dans l'Union Européenne. Pour en savoir plus sur les autres textes à connaître, veuillez consulter cet article.
Les 3 mesures clés de la proposition de règlement européen sur l’éco-conception pour des produits durables (ESPR)
Le règlement ESPR propose 3 domaines d’action principaux :
- la définition d’un cadre général pour la promotion de l’écoconception,
- l’information aux consommateurs notamment à travers la création d’un passeport produit numérique,
- l'interdiction de la destruction des invendus textiles.
Le cadre général pour la promotion de l’éco-conception défini par le règlement ESPR
Le premier objectif du règlement est de définir un cadre pour la mise en place de mesures concrètes d’éco-conception par la Commission Européenne.
L’éco-conception est ici définie comme « l’intégration de considérations relatives à la durabilité environnementale dans les caractéristiques d’un produit et dans les processus mis en œuvre tout au long de la chaîne de valeur du produit ».
La proposition de règlement liste ainsi 14 domaines d’action pour l’éco-conception des produits :
- La durabilité
- La fiabilité
- Les possibilités de réemploi
- Les possibilités d’amélioration
- La réparabilité
- Les possibilités d’entretien
- La présence de substances préoccupantes
- La consommation d’énergie
- L’utilisation efficace des ressources
- La présence de contenu recyclé
- La possibilité de remanufacturage
- Les possibilités de valorisation des matériaux
- Les incidences environnementales
- La production prévue de déchets
En définissant la notion d’éco-conception, ces critères sont au cœur du règlement ESPR : leur amélioration et l’information les concernant doivent être l’objectif final de toutes les mesures qui seront prises par la Commission.
Le règlement précise également que les mesures ayant pour objectif d’améliorer ces critères ne doivent pas, en contrepartie, affecter la compétitivité des acteurs économiques, le coût des produits ou leurs fonctionnalités de manière disproportionnée, et que les PME peuvent bénéficier d’aides particulières pour les mettre en place.
L'information aux consommateurs et le passeport produit numérique
Le second domaine d’action proposé par le règlement européen ESPR est le partage d’information aux consommateurs sur les critères d’éco-conception, notamment en développant un passeport produit numérique obligatoire.
Le passeport du produit est défini ici comme un « ensemble de données propres à un produit […], qui est accessible par voie électronique […] et qui comprend les informations [prévues par les actes délégués adoptés en vertu du règlement ESPR] ».
Le règlement ESPR invite la Commission à adopter des actes délégués pour définir, selon les secteurs et les produits, les obligations d’affichage des informations d’éco-conception à destination des consommateurs. Devront par exemple être obligatoirement publiées, selon les secteurs :
- Des informations générales sur le produit : numéro de référence, composition, poids, traçabilité de toutes les étapes de fabrication
- Les informations d’utilisation, d’entretien et de réparation pour réduire l’incidence du produit sur l’environnement et augmenter la performance selon les critères évoqués plus haut
- Les informations de traitement de fin de vie
- Les informations liées aux substances dangereuses et polluantes (selon une liste établie par la Commission) y compris le nom des substances, leur emplacement, leur concentration, et les instructions pour une utilisation sûre
- Toutes les autres informations liées à la performance environnementale du produit : empreinte carbone, éco-score...
Par ailleurs, les actes délégués devront préciser les modalités d’affichage en imposant des critères de lisibilité ou des mentions obligatoires. Ils doivent garantir que ces informations soient accessibles directement sur le produit (obligatoirement pour les informations liées aux substances dangereuses) ou, selon les cas, sur son emballage, ses étiquettes, son manuel d’utilisation, un site internet, ou le passeport produit.
L’objectif de cette initiative est de faciliter la traçabilité des produits car le passeport produit identifiera chaque produit et chaque acteur de la chaîne de valeur par un identifiant unique. La Commission Européenne tiendra un registre de ces identifiants pour faciliter les contrôles.
Les modalités de partage de ces informations, en particulier quels acteurs devront intégrer des informations au passeport produit, qui pourra y avoir accès, ou la période de disponibilité des informations, doivent être précisés par les actes délégués. Ces derniers préciseront aussi si les passeports produit identifieront les produits à l’échelle du modèle, du lot, ou de l’article.
L'interdiction de destruction des invendus textiles par le règlement ESPR
Le troisième domaine d’action proposé par le règlement européen sur l’éco-conception pour des produits durables (ESPR) est la régulation du traitement des invendus, en particulier la lutte contre la destruction des produits.
La version finale de la loi introduit une interdiction de destruction des textiles et chaussures invendus qui entrera en vigueur en 2026, soit 2 ans après l'adoption de l'ESPR. Il y aura une dérogation pour les petites entreprises et une période de transition de 6 ans pour les entreprises de taille moyenne.
Le règlement propose ainsi l’adoption d’actes délégués imposant aux producteurs de publier le nombre de produits mis au rebut, la raison, et le mode de traitement choisi – du réemploi à la destruction. Ces mêmes actes interdiront la destruction des invendus d'autres secteurs lorsque l’impact environnemental est estimé trop élevé.
Responsabilités, contrôles et sanctions en cas de non-respect des obligations du règlement ESPR
Si elle laisse le soin à la Commission et aux états membres de définir les sanctions applicables en cas de non-respect des principes d’éco-conception, la proposition de règlement ESPR définit les relations de responsabilité entre acteurs économiques et les procédures de contrôle.
Chaque fabricant devra émettre une déclaration de conformité qui signale la respect des exigences d’éco-conception du règlement ESPR et permet le marquage obligatoire CE sur les produits. Ce marquage doit être visible, lisible et indélébile.
Les importateurs et distributeurs sont considérés comme fabricants lorsque la mise en marché des produits est faite sous le nom d’une de leur marque ou lorsqu’ils modifient significativement les produits.
De plus, tout le long de la chaîne de valeur, les importateurs et distributeurs auront la responsabilité de vérifier la conformité des produits.
Le metteur en marché final portera en complément la responsabilité de la mise à disposition du passeport produit et des étiquettes de manière visible. Ces obligations s’appliqueront aussi en ligne.
Enfin, les actes délégués préciseront les modalités de contrôle du respect des obligations de la directive ESPR (ex : nombre minimum de contrôles par secteur).
Chaque État désignera une « autorité notifiante » (par exemple les autorités douanières) qui pourra demander à des organismes d’évaluation accrédités de contrôler des produits.
En cas de non-conformité des produits contrôlés, les autorités pourront imposer des mesures correctives et interdire leur mise en vente.