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CSDD, loi française : tout comprendre au devoir de vigilance

Thibaud Auzière
Thibaud Auzière
Marketing Analyst
Publié le
December 19, 2023
Directive européenne Corporate Sustainability Due Diligence

Dans les 10 dernières années, plusieurs catastrophes liées à l’industrie de la mode comme l’effondrement de l’immeuble d’ateliers de confection de vêtements Rana Plaza en 2013 ou les révélations de travail forcé des Ouïghours à partir de 2018 ont accéléré le développement d’une définition légale du devoir de vigilance. Ces lois ont un impact profond sur les marques de mode qui doivent continuellement adapter leurs activités aux nouvelles exigences en matière de suivi de leur impact le long de leur chaîne de valeur.

Le Royaume-Uni et la France on fait office de pionniers en légiférant dès 2015 (Modern Slavery Act) et 2017 (loi sur le devoir de vigilance) en faveur d’un devoir de vigilance des marques de mode. En 2021, ce sont l’Allemagne avec la loi LkSG et les Etats-Unis avec l’UFLPA qui ont adopté des lois imposant un devoir de vigilance, que nous présentons dans cet article. Aujourd’hui, l’Union Européenne souhaite élargir largement ces exigences, avec son projet de directive CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence).

Dans cet article, nous faisons le point sur les lois sur le devoir de vigilance en France (loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre) et dans l’Union Européenne (projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité).

Le devoir de vigilance en droit français : plan de vigilance, champ d'application et sanctions prévues

La France a été parmi les premiers pays à légiférer sur le devoir de vigilance. Elle s’est inspirée pour cela de la définition du « devoir de diligence » par le guide de l’OCDE :  « un processus que les entreprises devraient mettre en œuvre pour identifier, prévenir, et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels de leurs activités, de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs relations d’affaires, mais aussi pour rendre des comptes de la manière dont ces impacts sont traités ».

La loi n°2017-399 « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre », publiée en 2017, impose ainsi aux entreprises la mise en place d’un plan de vigilance envers les atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes, et à l'environnement.

Ce plan, qui doit être rendu public, comprend cinq mesures :

  1. Une identification et hiérarchisation des risques,
  2. Une évaluation régulière des filiales, sous-traitants et fournisseurs de l’entreprise,
  3. Des actions d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves,
  4. Un mécanisme d’alerte et de signalement des risques,
  5. Un suivi constant des mesures et une évaluation de leur efficacité.

Une des évolutions majeures résultant de cette loi est l’application du devoir de vigilance non seulement aux entreprises et à leurs filiales, mais aussi à leurs fournisseurs et sous-traitants avec qui ils entretiennent une « relation établie ».

Le rapport du Conseil Général de l’Economie sur l’évaluation de la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance explicite qu’il faut considérer les relations indirectes avec les sous-traitants, sur toute la chaîne d’approvisionnement habituelle.

La loi s’applique aux sociétés et groupes :

  1. D’au moins 5000 salariés si le siège social est en France,
  2. D’au moins 10 000 salariés si le siège social est à l’étranger.

Le champ d’application des mesures définies dans cette loi sera cependant bientôt largement élargi grâce à leur reprise dans la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Si une entreprise n’a pas publié de plan de vigilance conforme aux exigences de la loi, tout membre de la société civile (organisation syndicale, salarié, ONG…) peut la mettre en demeure afin de l’enjoindre à respecter ses obligations sous 3 mois.

Si 3 mois après avoir été mise en demeure, l’entreprise ne s’est toujours conformée pas à la loi, le juge peut être saisi et la condamner à verser une somme d’argent par jour de retard.

Directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDD)

La directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (aussi appelée CSDDD : Corporate sustainability due diligence directive) s’inspire largement du devoir de vigilance inscrit au droit français en 2017, et le précise. Cette directive a été proposée par la commission européenne en février 2022.

Après négociations en « trilogue » entre parlement, commission et conseil européens, un accord provisoire a été signé le 14 décembre 2023, sur une version définitive du texte. Le Conseil Européen a finalement adopté en mars 2024 une version diminuée de ce premier texte, que le Parlement a confirmé en mai 2024, marquant la fin du parcours législatif de ce texte.

A savoir, cette directive fait partie d'une série de réglementations visant à rendre le marché unique plus durable, et s'incrit notamment dans la stratégie européenne pour des textiles durables.

Que prévoit la directive européenne CSDD ?

La directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité définit la notion d’incidence négative sur les droits de l’homme et l’environnement, et impose aux entreprises d’intégrer une politique de devoir de vigilance dans leur stratégie.

Cette politique de devoir de vigilance se décompose en 4 volets :

  1. Recenser, évaluer et hiérarchiser les incidences négatives potentielles ou réelles découlant des activités de l’entreprise, de ses filiales, ou des entités de sa chaîne de valeur avec lesquelles elle entretient une relation commerciale. C’est une dimension clé de la directive, à l’instar de la loi française relative au devoir de vigilance : les entreprises doivent étendre leur devoir de vigilance à leurs partenaires commerciaux, et soutenir ces derniers dans la mise en place de leurs mesures de vigilance.
  2. Prévenir les incidences négatives potentielles par le développement de plans d’action, d’indicateurs de suivi, de garanties contractuelles avec les partenaires directs ou de processus de traçabilité des produits,
  3. Supprimer les incidences négatives réelles en réparant les dommages, indemnisant les communautés touchées, obtenant de nouvelles garanties contractuelles voire en terminant la relation commerciale concernée,
  4. Mettre en place des procédures de plainte et d’alerte auprès des entreprises pour signaler les incidences négatives.

Ces mesures devront faire l’objet de consultations avec les communautés affectées, être continuellement réévaluées, et être communiquées publiquement. Il est aussi souligné que les entreprises devront porter une attention particulière aux situations de conflit armé.

Pour soutenir les entreprises dans leur devoir de vigilance, l’UE publiera des fiches thématiques par pays et par secteur, en particulier pour les secteurs à risque d’incidence négative sur l’environnement et les droits de l’homme comme le textile. Un guichet d’assistance sera aussi mis en place dans chaque pays membre.

Enfin, une mesure supplémentaire à retenir est l’obligation pour les grandes entreprises d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de mitigation du changement climatique.

A qui s’applique la directive européenne CSDD ?

La directive distingue les entreprises établies dans l’union européenne et celles établies en dehors. Pour les entreprises établies dans l’UE, les entreprises concernées sont celles employant plus de 1000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires mondial annuel supérieur à 450 millions d’euros

Les entreprises établies hors de l’UE sont concernées lorsqu’elles réalisent dans l'UE un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros.

Comment l’application de la directive européenne CSDD sera-t-elle contrôlée et quelles sanctions sont prévues ?

Chaque État membre de l’UE va désigner une autorité de contrôle indépendante compétente sur son territoire national, qui agira en réseau avec les autorités de contrôle des autres pays européens.

Les sanctions en cas de non-conformité seront elles aussi déterminées individuellement par les États.

  1. Les sanctions financières devront avoir un plafond maximum d’au moins 5% du chiffre d’affaires mondial annuel de l’entreprise,
  2. Les États pourront prévoir une exclusion des marchés publics européens pour les entreprises non-européennes en infraction.

En cas d’incidence négative sur les droits de l’homme ou l’environnement, les entreprises seront jugées en fonction de la proportionnalité des mesures de prévention, d’atténuation ou de réparation prises par rapport aux circonstances (taille de l’entreprise, secteur, longueur de la chaîne de valeur, ressources disponibles…).

Calendrier d’application de la directive européenne CSDD

📅 23 février 2022

Proposition de directive par la commission européenne

📅 25 mai 2024

Adoption de la version définitive du texte

📅 1 à 3 ans après l’adoption de la version finale (2025-2027)

Les Etats membres adoptent les dispositions de la directive dans leur droit interne

📅 3 à 5 ans après l’adoption de la version finale (2027-2029)

Entrée en vigueur des obligations pour les entreprises

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